Motu proprio Traditionis Custodes : le cléricalisme jacobin a encore frappé
- hildegarde-france
- 19 juil. 2021
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 sept. 2021
Par Traditionis Custodes, le Pape François a pris la décision de révoquer le Motu Proprio Summorum Pontificum, promulgué en juillet 2007 par Benoît XVI qui libéralisa l’usage du missel de saint Jean XXIII (1962) en qualifiant l’antique liturgie de « forme extraordinaire » du seul et unique rite romain. Cette décision annoncée la même semaine que l’infâme Pass Sanitaire en France (tiens, tiens) a de quoi scandaliser plus d’un fidèle (même non « tradi ») lorsque l’on est un tant soit peu au fait des violentes crises morales et théologiques qui secouent l’Église actuellement — au hasard : la bénédiction de « couples » homosexuels par le clergé allemand ou la remise en cause de la tradition occidentale du célibat sacerdotal. Bien que de nombreuses voix se soient élevées contre un Motu Proprio jugé excessif, voire autoritaire, peu de catholiques ont pointé du doigt le véritable problème à l’origine de cette attitude du Saint Père — se contentant la plupart du temps, de dénoncer le modernisme progressiste de la curie romaine. Ce poncif maintes fois éculé souffre cependant de certaines limites que la présente analyse s’efforcera d’exposer tout en livrant une interprétation, à mon sens, plus juste de la situation.
Des motivations inconsistantes

C’est donc acté. Depuis plusieurs semaines, voire mois, des bruits de couloir annonçaient une réorganisation de la place de la liturgie traditionnelle au sein de l’Église catholique — place durement regagnée sous le pontificat de Benoît XVI qui mit fin à la « guerre liturgique » opposant « tradis » et « conciliaires ».
Le Motu Proprio Traditionis Custodes du Pape François promulgué le 16 juillet 2021 signe un véritable retour en arrière. Très contraignant pour les fidèles attachés aux livres liturgiques de 1962, il soumet la célébration de l’antique rite aux désidératas pour le moins arbitraires des évêques (comme on a pu le voir récemment dans le diocèse de Dijon). Des communautés comptant un nombre important de fidèles peuvent désormais se voir expulser du jour au lendemain sans explication aucune — si ce n’est pour cause d’une vague suspicion de menace sur l’unité du Corps du Christ qu’est l’Église… Rien que ça ! Cette accusation diffamatoire qui émaille tout le texte de ce Motu Proprio est extrêmement violente de la part du Saint Père, dont on souhaiterait que la fermeté et les griefs soient plutôt reportés sur l’épiscopat allemand qui n’a décidément plus rien de très catholique.
D’ailleurs, et si l’on regarde de plus près les motivations du Pape François, celles-ci sont relativement floues et l’argumentation qui en découle s’en ressent.
La première, comme nous venons de l’évoquer, est celle d’une crainte de division au sein de l’Église que la célébration de la forme extraordinaire occasionnerait — celle-ci allant de pair avec une critique systématique des textes du Concile de Vatican II aux dires du Motu Proprio. L’on laisserait donc s’édifier, selon le Pape François, une sorte d’Église « à deux vitesses ». Or quiconque est au fait de la situation sur le terrain aura du mal à croire à ce prétexte lorsque que l’on sait que les communautés célébrant la Messe de 1962 (dites aussi « Ecclesia Dei ») se sont engagées à ne pas remettre en question l’autorité du Concile qui n’a, nous le rappelons, rien de dogmatique (l’infaillibilité pontificale n’a été engagée sur aucun des textes constituant Vatican II), mais seulement à émettre la critique constructive de son interprétation souvent fantaisiste. Par ailleurs, il est pour le moins étrange que le Pape François évoque la crainte de divisions au sein de l’Église puisque cette décision ne fera qu’entériner une nouvelle guerre liturgique à l’issue plus qu’incertaine et aggraver les dissensions entre catholiques que le Motu Proprio de 2007 avait précisément permis d’apaiser.
La deuxième porte sur la nécessité d’uniformisation du rite romain et de clarification liturgique. On ne peut, selon le Pape François, laisser prospérer deux formes de rites qui se feraient concurrence au sein de l’Église latine. C’est oublier que la pluralité liturgique a toujours eu cours au sein de l’Église (y compris au sein d’un même rite, nous y reviendrons plus longuement dans la partie suivante) et que celle-ci est même une condition de sa catholicité, donc de son universalité (i.e. s’adressant à tous les hommes). Mais si l’universalité ne peut que se réaliser dans l’unité, elle est le contraire de l’uniformité — ce que semble oublier le Pape François.
Les arguments convoqués par le Saint Père pour justifier les restrictions autour de la célébration de la forme extraordinaire du rite romain paraissent finalement peu solides en l’état. Les véritables intentions qui animent cette décision sont donc à chercher ailleurs. Il nous faut ainsi analyser, au-delà du texte, le contexte pastoral dans lequel il s’inscrit, marqué par une forte tendance au cléricalisme le plus caricatural.
Analyse d’une tendance de fond dans l’Église : le cléricalisme jacobin

Nombre d’observateurs catholiques traditionalistes, comme ceux du Salon Beige ou de l’association Notre-Dame de Chrétienté qui organise le pèlerinage de Chartres, ont pointé du doigt un texte trahissant une espèce de dérive « cléricaliste » au sein de l’Église. En effet, donner aux évêques tout pouvoir sur l’organisation des diocèses jusqu’à aller à l’encontre du bon-sens le plus élémentaire (comme celui de révoquer des prêtres qui sont parfois les seuls à assurer un catéchisme dans tout le diocèse au seul prétexte qu’ils soient tradis) s’apparente à une infantilisation très peu respectueuse des laïcs et de leurs souhaits. Faut-il rappeler que l’Église est une monarchie et non une tyrannie ?
Cette analyse est tout à fait juste et va au-delà de la critique — bête et facile — conservatrice et réactionnaire consistant en dire que « la méchante curie romaine nous persécute parce qu’elle est de gauche ». Le véritable problème de fond, c’est le cléricalisme, et il ne faut pas avoir peur de le nommer. Dans la pensée pastorale du Pape François — en vérité très verticale et allant à l’encontre des voeux de Vatican II —, ce sont les clercs (et a fortiori les prélats) qui doivent mener l’Église à la baguette. D’eux et seulement d’eux dépendent la bonne marche de l’Église. Rien de plus faux. Malheureusement, cette conception tout sauf récente a fait des ravages parmi les fidèles les moins catéchisés. L’infaillibilité pontificale est ainsi souvent comprise en inerrance de la parole du Saint Père et l’obéissance filiale se mue en soumission servile et irraisonnée aux faits et gestes de la curie romaine — et plus encore du Pape. Il est donc communément admis que les laïcs ne peuvent jamais avoir raison face à des clercs (être consacré à Dieu empêche d’être con, c’est bien connu) qui prétendent, quant à eux, régenter l’ensemble de la vie de l’Église — travers très présent dans les dernières décennies du XIXe siècle que le Second Concile du Vatican s’était pourtant efforcé à corriger… et à raison ! Ainsi et désormais, un « groupe stable de fidèles » attaché à la liturgie pré-Conciliaire ne suffit plus pour célébrer une Messe en forme extraordinaire, seule exigence du précédent Motu Proprio de 2007. C’est à l’évêque qui, dans les idées du Pape François, tient plus du pater familias de la Rome antique ayant droit de vie ou de mort sur ses enfants que du pasteur qui paît les brebis du Seigneur, que revient cette décision. En somme, le nouveau souffle pastoral impulsé par Vatican II et l’encouragement vers une plus grande implication des laïcs dans la vie de l’Église, c’est bien, mais seulement si ça les arrange !
Ce cléricalisme doublé de centralisme romain n’est pas sans rappeler un certain jacobinisme. Le Pape, suppléé de ses évêques, deviennent le centre de gravité de l’Église de Dieu, au mépris de la vie paroissiale ordinaire et rendue sourde aux souhaits du quidam des fidèles. Pourtant, le Souverain Pontife, n’est pas tout en haut de la Pyramide : il est au contraire, le premier des évêques, c’est-à-dire le serviteur des serviteurs.
D’ailleurs, et pendant très longtemps, le Pape était une figure lointaine : rares étaient les laïcs qui lisaient ses encycliques et le commun des mortels n’entendait parler du Souverain Pontife qu’à sa prise de fonctions et au moment de son décès. Le phénomène de « starisation » du Pape à partir des années 1970 et qui a littéralement explosé sous le pontificat de saint Jean-Paul II n’a évidemment rien arrangé. Cette tendance se traduit par l’émergence d’un cléricalisme jacobin et finit ainsi par déborder sur la manière de concevoir la liturgie : la même Messe, la même façon de célébrer le Sacrifice du Christ partout dans le monde, à chaque instant et en tout lieu.
Du reste, le cléricalisme jacobin est bien plus ancien qu’on le croit puisque l’on peut aisément en dater la genèse au Concile de Trente — et également sur une question liturgique ! En effet, afin de contrer l’apparition du péril protestant et de ses erreurs doctrinales, l'Église jette les bases, avec l’introduction du missel de saint Pie V, de l'uniformisation (donc de l'appauvrissement) du rite romain et plus largement de l’ensemble de la vie liturgique ouest-européenne, fruit d’une maturation séculaire, organique, enracinée dans les traditions ancestrales locales (y compris païennes) et témoignant d’un christianisme vivant. Il en résulta la disparition progressive des différentes expressions ou variantes européennes de cette liturgie : rite celtique (notamment présent en Irlande), rite lyonnais (quasiment éteint aujourd’hui), rite de Sarum (synthèse de la liturgie normande et anglo-saxonne suite à la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant). Ces pertes sont d’autant plus regrettables lorsque l’on sait que l'inculturation, notamment liturgique, est l’une des grandes gloires de l’Église et l’une des preuves de son origine divine.
Il y a donc une grande incohérence entre les souhaits de ce que nous pourrions appeler les « suprémacistes romains » — extrêmement présents chez les tradis — et la dénonciation de ce texte par ces mêmes tradis. En effet, le discours qui consiste grosso modo en dire que la Messe romaine de saint Pie V est la meilleure de toutes et devrait être l’unique rite partout dans le monde est non seulement une grave affirmation contraire à la Foi catholique et apostolique (aucune liturgie n’est « supérieure » à une autre, on peut seulement dire qu’elle est plus conforme à une culture donnée) mais ne fait que donner de l’eau au moulin à l’attitude du Pape qui est à l’origine de cette décision.
C’est que les suprémacistes romains oublient souvent que la romanité de l’Église n’est qu’accidentelle (le trône de Pierre aurait pu être alexandrin, athénien, constantinopolitain ou parisien sans que cela ne change rien à la nature de l’Église !). Pour preuve, elle ne fait pas partie des quatre caractéristiques de l’Église de Dieu énumérées lors du Credo (une, sainte, catholique et apostolique). La liturgie romaine telle que célébrée par le Souverain Pontife n’est donc pas la « norme » et n’a pas à le devenir sous peine d’entraver la pluralité de l’Église, condition de sa catholicité.
Que faire ?

Alors « que faire ? » comme dirait l’autre.
Dans l’immédiat, prier.
Prions la Très Sainte Vierge Marie, Mère de l’Église, et invoquons saint Joseph, Protecteur de l’Église en cette année qui lui est particulièrement consacrée. Demandons-leur d’intercéder pour nous auprès du Seigneur pour les années à venir qui s’annoncent très difficiles autant pour les fidèles que pour l’Église dans son ensemble.
Vous pouvez aussi prendre le temps de remercier votre évêque s’il fait partie de ceux ayant précisé que ce Motu Proprio ne changerait rien pour les communautés attachées à la forme extraordinaire de son diocèse. Nous avons le devoir de montrer notre soutien.
Sur le plus long-terme, nous devons en finir avec le cléricalisme jacobin et le suprémacisme romain en matière liturgique. Cela passe par exemple et très concrètement, par accorder toute leur place aux autres rites catholiques que romains (notamment orientaux), tout aussi valides et tout aussi beaux que le nôtre (simplement moins adaptés aux cultures et aux mentalités propres à la race européenne). Il n’y a aucune raison de se féliciter de l’écrasement des antiques et respectables liturgies orientales (à la codification parfois bien plus ancienne que la romaine), telles que celles des rites guèze, grecque-melkite ou syro-malabare, par le phénomène de « mondialisation », voire de « McDonaldisation » du rite romain réformé. À terme, le cléricalisme jacobin menace autant la survie des liturgies orientales que le maintien de la « messe en latin » dans nos contrées. Le fait que 90 % des catholiques assistent à la même Messe (romaine, donc) partout dans le monde révèle une dynamique désastreuse qui devrait attrister tout amoureux de la liturgie digne de ce nom.
En bref : prions et agissons en vrais chrétiens, attachés au siège de Pierre mais droits dans nos bottes et lucides quant aux multiples pièges tendus par un cléricalisme aussi stupide que dangereux.
Hildegarde
Votre thèse sur une origine "cléricaliste" du motu proprio m'intrigue, alors je me permets d'y répondre brièvement. Du reste, je partage largement vos vues sur la sclérose réactionnaire de nos milieux et sur la pluralité naturelle des rites mais je pense que cette analyse risque de rater l'essentiel du problème.
1) Vous montrez (pertinemment) que le clergé allemand est soumis à une force centrifuge sans être inquiété, alors pourquoi ledit cléricalisme ne pousserait-il pas Rome à le condamner et à restaurer son contrôle sur l'église allemande ?
2) Il existe une multitude de façon d'officier le rite Paul VI, avec notamment quatre "prières eucharistiques", dont l'une est issue du rite basilien. Si le motu proprio doit être compris comme une…